Alors que je le regarde dodeliner une nouvelle fois de la tête, je réalise, avec un pincement au coeur, que la régression redoutée est bien là.
Depuis quelques jours, mon fils aîné s’est remis à pleurer beaucoup, pour tout et rien.
Depuis quelques semaines, il bégaye à nouveau quand il nous raconte sa passion pour le système solaire.
Hier, j’avais remarqué qu’il se remettait à nouveau à tourner sur lui-même quand il se trouvait dans sa chambre, pour se détendre et s’évader un peu.
Ça n’est pas une grande surprise, étant donné que le suivi thérapeutique, les séances de psychomotricité et d’orthophonie sont désormais interrompus depuis deux longs mois.
Mais je mesure ma chance : mon enfant parle, il ne se frappe pas. Il va globalement bien.
Bref, les signes de cette régression sont “légers”.
J’ai alors pensé à toutes les mamans d’enfants “différents”, extraordinaires, qui, comme moi, constatent cette régression… et dans la plupart des cas, bien plus douloureusement que moi.
Au terme de ces huit semaines de confinement, et tandis que les contours de notre “nouvelle vie” peinent à se dessiner avec exactitude, je me suis dit que j’avais bien envie de vous rendre hommage, de nous rendre hommage, de te rendre hommage, à toi, la maman ayant un enfant extraordinaire.
Si, il y a deux mois, on t’avait dit que tu l’aurais fait, tu ne l’aurais (peut-être pas) cru.
Et pourtant, tu l’as fait :
Tu as tenu, tu as tenu deux mois.
Peut-être as-tenu une heure à la fois, un jour à la fois, mais tu as tenu. Et tu vas encore tenir. Car il va falloir remettre le suivi en place, et parfois devoir te battre – encore une fois – pour que l’inclusion scolaire soit respectée.
Ça a été parfois difficile, voire très difficile. Tu as trébuché, tu as pleuré et certains soirs, assaillie par la fatigue et les doutes, tu as failli sombrer.
Ce fut l’occasion pour toi de découvrir – ou redécouvrir – en toi des réserves de patience et d’amour. De jeter un nouveau regard sur ton enfant, sur ses capacités que tu avais peut-être un peu oubliées, mais sur la réalité brute de son handicap, aussi.
Chère Fabuleuse, tu as vécu un double confinement :
confinement dans ton foyer et confinement dans le handicap ou la maladie.
Tu t’es parfois sentie engloutie par la routine. À d’autres moments, tu as été submergée par la peur qu’il tombe malade ou par celle, toi, de tomber malade et de ne pas pouvoir t’occuper de lui.
Durant ces deux mois, la vie s’est parfois étiolée, la source qui l’alimentait a parfois failli se tarir, mais tu l’as fait : tu as tenu.
Alors oui, tu as parfois culpabilisé de ne pas y arriver, culpabilisé de ne plus supporter sa différence qui saute aux yeux, sa lenteur, ses idées fixes. Mais tu l’as fait : tu as tenu avec lui et pour lui, grâce à cette puissance de l’amour qui vous unit.
Tu as tenu parce que tu as accepté – parfois au prix de sacrifices ô combien coûteux – de te mettre à son pas. En te coulant dans son rythme lent, tu as accepté ses limites et, finalement, les tiennes.
Alors, non, tu n’as certainement pas « profité » du confinement pour faire un grand ménage de printemps ou trier les vêtements de chaque membre de la famille, tu n’as certainement pas lu beaucoup de livres ni écouté beaucoup de podcasts, et tu as encore moins eu l’occasion de relever un quelconque challenge créatif circulant sur les réseaux sociaux.
Tu as joué au mistigri, tu as construit des tours en Kapla, tu as fait des tartes aux pommes et des financiers, tu as lu des histoires, tu as câliné, tu as nourri les poules, tu as joué aux animaux du zoo, tu as construit un système solaire avec des rouleaux de papier toilette, tu t’es levée la nuit, tu as tâtonné pour improviser des séances de kiné, d’orthophonie ou de psychomotricité.
Tu t’es sentie un peu seule, aussi, mais au fond de toi, tu savais que d’autres, comme toi, vivaient un confinement “différent”, comme toi, et ça t’a aidé à tenir.
Alors adresse-toi un grand bravo.
Et un autre à ton enfant ! Tu peux être fière de toi et fière de lui.
Chère Fabuleuse, je t’adresse, en guise d’applaudissements virtuels, ces paroles écrites par Vianney pour Céline Dion :
« Si j’ai connu des moments d’émois
Où s’est abîmée mon écorce
Au fond de moi je ne savais pas
Quelle était ma force
Quelle était ma force
Avant les drames
Avant les fracas
Avant la route et ses entorses
Au fond de moi je ne savais pas
Quelle était ma force
Quelle était ma force. »