Ils sont nombreux, ces moments où j’ai envie de crier.
Crier parce que c’est injuste.
Parce que la différence de mon fils – invisible aux yeux de beaucoup – me revient en pleine face à l’occasion de petits détails de la vie sans importance.
Quand, au square, je le vois incapable d’entrer en relation avec un enfant de son âge. Quand, au moment de passer à table, je lui donne l’assiette en plastique bleu – que son frère plus jeune réclame pourtant – parce que je sens qu’il fait une fixation dessus et qu’il n’arrivera pas à passer à autre chose.
Quand il tient des propos curieux pour un enfant de son âge – « néanmoins », « ne serait-ce que » – et que son auditoire reste médusé devant un tel vocabulaire tandis que moi, j’entends les intonations et le style adultes plaqués sur l’histoire maladroite d’un enfant de 7 ans.
Quand j’ai du mal à cacher mon énervement et qu’il me demande, comme pour valider qu’il a bien appris sa leçon : « Maman, tu es fâchée ? Est-ce que c’est bien ça ? »
Je sais désormais que non, ça ne « passera » pas.
Que sa différence nous accompagnera pour toujours et, même si certains symptômes s’atténueront avec le temps et les différentes prises en charge, elle sera notre compagne pour le reste de notre chemin…et elle constituera un handicap bien réel pour mon fils à chaque étape de son existence.
Cette compagne qui nous défie sans cesse, j’ai pris mon parti de l’accueillir, de lui ouvrir ma porte, notre porte, avec bienveillance. Avec toute la patience dont moi, l’impétueuse de service, je suis capable. Avec douceur, aussi.
Oui, avec douceur.
Moi, dont la nature profonde me pousse au mode combat et à la conquête, j’ai découvert des ressources insoupçonnées : une certaine tranquillité, une bienveillance envers moi et envers l’autre.
Car oui, comment adopter une attitude bienveillante face aux difficultés de mon enfant (et face à mon enfant lui-même) si je ne suis pas d’abord bienveillante envers moi ?
- Envers mes limites (et parmi elles, la fatigue),
- Envers mes faux pas (des cris trop fréquents),
- Envers mes erreurs de jugement (je n’aurais pas dû le coucher tard à telle ou telle occasion).
Celui qui déteste la douceur est également dur pour lui-même.
Cette douceur n’équivaut pas à la mièvrerie, loin s’en faut. En un sens, elle est une affirmation, obstinée et véhémente, presque militante :
« Ce sera doux, sinon ce sera toujours la guerre. »
Cette guerre que j’ai trop longtemps menée et qui m’a conduite à m’enfoncer dans la culpabilité, dans la honte, dans la peur du regard des autres, dans le jugement sur moi.
Cette guerre, je continue à la mener… à l’extérieur.
De temps en temps, je revêts mon armure de guerrière (on ne se refait pas !) pour partir en « Opex », me battre contre une décision injuste de la CPAM, contester un courrier de la MDPH, demander une attestation à un médecin…et j’en passe.
Une armure qu’il me faut quitter dès lors que je reviens – mentalement ou physiquement – dans mon foyer. Ce foyer rempli de défis, dont celui de la différence, que je ne relèverai qu’avec l’aide de la douceur.
Car comment puis-je être dans l’acceptation de la différence de mon fils si je suis en perpétuel combat, toujours en colère ?
Cette armure, je l’ai trop longtemps utilisée comme un cocon me protégeant de la souffrance. À présent, je sais que je suis suffisamment forte, suffisamment solide pour lâcher prise et adopter un nouveau cocon : celui de la douce acceptation.
Ma nouvelle devise ? En bonne trentenaire biberonnée aux Inconnus, c’est à eux que je l’emprunte :