On se demande bien souvent s’il est possible de rire de tout. Mais la question que j’aimerais te poser est plutôt : peut-on rire en toute circonstance ? Peut-on rire quand on est aidant et que le poids du quotidien pèse lourd sur nos épaules et nos cœurs.
Peut-on rire alors qu’un diagnostic inattendu a soufflé comme une tornade sur la normalité de nos vies, laissant nos plans sans dessus dessous ? Peut-on rire quand nous perdons chaque jour un peu plus la personne que nous aimons tant ? Peut-on rire quand notre liberté d’action et de vie s’est vu amputée massivement par un accident, une maladie, un handicap ?
Le regard des autres et la société en général nous reflètent parfois une telle pitié, et leurs préjugés nous enferment parfois dans une vie morne et grise. On entend si souvent les « Moi je ne pourrais pas » ou « Quel courage ! » et on voit les yeux qui se baissent à notre passage pour ne surtout rien avoir à dire.
Est-ce que la société attend de nous que nous soyons juste courageux, de serrer les dents dans un quotidien de combat ? Est-ce qu’elle est en train de nous dire : « Oui, on peut rire en toute circonstance mais bon on comprend si vous n’avez plus envie de rire, si vous n’en avez plus l’occasion, plus les raisons » ? Les regards se disent qu’il n’y a plus d’humour possible quand la situation est si complexe. On nous met une étiquette, on nous signale : « Dans ta vie d’aidant tout est lourd, tout est sombre, tout t’étouffe ».
Et moi, je dis “stop” !
C’est vrai, notre quotidien d’aidant n’est pas toujours facile. Mais de quel droit voudrait-on, en plus, nous renier notre capacité à avoir de l’humour, notre droit à rire ? Quelle injustice de penser que le rire s’éteint derrière les portes des familles aidantes ! Je connais tant de familles qui contrediraient cela. Qui racontent des anecdotes en riant à pleine dents, bien souvent de leurs erreurs aussi, des bizarreries de leur vie journalière. Et quel bien ça leur fait !
Tu sais, les émotions, c’est un tout.
On ne peut pas vivre que les émotions que l’on voit comme positives. C’est un lot, un “paquet”, tu achètes tout d’un coup. Donc, dans la vie, on ne sait pas trier ses émotions que pour vivre la joie et la surprise ou l’enthousiasme, on aura toujours en nous aussi la colère, la tristesse et la peur. C’est une équipe. Ce qui veut dire que, oui, même quand la situation d’aidance appuie souvent sur les boutons “tristesse”, “colère” et “peur”… notre bouton “joie” n’a pas disparu.
Le rire est naturel.
C’est une force de caractère, c’est une habitude à entretenir, c’est notre bon droit, c’est notre ADN. Et il fait tant de bien à notre organisme. Parfois, on met du temps à le retrouver, à l’autoriser, à le vivre de nouveau. Ai-je le droit ? Oui. Puis-je rire malgré la douleur et l’angoisse, la fatigue et la vulnérabilité ? Oui, tu peux.
L’un des plus grands effets les plus incroyables quand des familles ayant subi la perte d’un enfant se rencontrent, c’est qu’alors ils peuvent voir d’autres familles rire de nouveau. Et si d’autres le peuvent, alors eux aussi !
Peut-on rire après la perte ?
Oui, on peut rire et si pour un temps, on n’y arrive pas, c’est normal, on peut laisser le corps oublier qu’il y aura de nouveau de l’espoir dans sa vie, de la bonne humeur et de la légèreté. Mais quand l’espoir, la bonne humeur et la légèreté reviennent à petit pas, ne baisse pas les yeux de gêne quand le rire te rend visite. Tu as le droit.
Bien souvent, les enfants nous montrent l’exemple, parce que malgré la maladie, malgré les rendez-vous médicaux, malgré les pronostics pas toujours encourageants, ils ont besoin du rire comme de l’air qui nous entoure. Ils vivent l’instant présent et bien qu’ils aient dû parfois grandir bien trop vite, et comprendre bien trop de choses pour leur âge, ils auront bien souvent encore la soif de rire.
Alors, osons ce rire avec eux,
dans le quotidien, dans les circonstances cocasses. Osons rire pour eux, pour qu’ils puissent s’autoriser aussi à rire, à faire des blagues, à vivre une certaine légèreté, à se donner un répit au milieu de leur tempête.
Certaines personnes aidantes me diront peut-être : « Je n’ai pas l’énergie de rire, de trouver les choses rigolotes, dois-je rajouter cela à ma liste des choses à faire ? ». Et moi je te répondrais : « Et si, pour l’instant, tu étais justement en train de mettre plus d’énergie à retenir ton rire qu’à le laisser sortir ? Et si le masque de tristesse et ou de responsabilités te pesaient plus que de laisser libre court à ton énergie positive ? Et si ta peur, au fond, était de souffrir encore plus si tu osais vivre ton quotidien non seulement avec un courage sobre mais aussi avec un rire contagieux ? »
Le rire est une force.
Le rire partagé est un baume. L’humour, c’est une pincée de sel sur tes frites. Alors oser rire “malgré”… Se risquer à l’humour “quand même”, c’est plonger ta tige de rhubarbe acidulée dans un tas de sucre blanc.
Rire fera tant de bien à ton organisme. D’ailleurs, sourire nous fait déjà du bien ! Ton cerveau analyse le sourire sur tes lèvres et hop il se dit : « Ah, on est de bonne humeur ». Et il agit en fonction.
Et puis, quand tu ris, toi, Fabuleuse aidante, tu donnes la permission à ceux qui t’entourent d’en faire de même. Quel cadeau cela représente pour une famille ! Rire ensemble des situations saugrenues dans lesquelles vous vous retrouvez parfois. Rire de vos habitudes qui n’ont rien de normales quand on y pense. Rire avec nos aidés, des essais ratés, des gestes maladroits, des larmes qui nous submergent parfois.
- Rire, comme un gros pied de nez à la vie, à la société, à la maladie ;
- Rire, comme une force qui dit : « Je suis peut-être à terre mais je suis encore là » ;
- Rire, comme une rébellion : « Je choisis la légèreté quand tout et tous me poussent à me sentir enfermée » ;
- Rire, comme un cocon qui embrasse mon enfant, mon parent, mon conjoint pour lui dire que la vie est plus forte. Pour lui rappeler la force de notre amour ;
- Rire, comme une autorisation à fêter nos quotidiens, nos progrès, nos petits pas de souris en chemin ;
- Rire, comme un remède contre notre imperfection et nos limites dans nos capacités d’aidants ;
- Rire, pour prendre de la distance et pour relativiser, pour se donner du leste, pour réaliser combien on est parfois un peu trop “mère poule” ou un peu trop “dictatrice” dans nos familles, rire pour avancer sur notre chemin.
Alors, oui, je pense qu’on peut rire en toute circonstance.
Je pense qu’on peut oser l’humour avec tendresse, avec légèreté, sans trop se poser de questions. Je crois qu’on peut reconquérir le rire quand il est parti de nos familles un instant.
Et c’est tout le bon que je te souhaite ce matin, chère Fabuleuse : fais de ton rire un étendard qui dit « Oui, je suis aidante, oui, parfois je suis courageuse, oui, parfois je suis déprimée, oui, parfois j’en ai en marre MAIS j’ai encore bien des raisons de vivre, d’aimer ma vie et je n’abandonnerai pas mon droit de pouvoir rire ».
Et si tu nous partageais tes plus beaux fous rires de Fabuleuse aidante ? Cela nous encouragerait peut-être toutes à en faire de même.
Je te partage un des miens ?
Quand Pia a débarqué dans nos vies, sa trisomie 21 était visible mais elle avait des yeux tellement bridés que la plupart des gens nous demandaient si elle était Chinoise. Un jour, dans un magasin, un homme se penche au-dessus du landau, regarde Pia, me regarde et me dit avec un accent très prononcé : « Une petite Chinoise ? ». Je lui réponds : « Non, c’est la trisomie 21 ». Et là, il fait signe de la main et annonce tout relax : « Pas grave, moi aussi je suis étranger ». Vous auriez dû voir ma tête, je me demandais comment répondre et surtout, comment retenir mon fou rire pour qu’il n’éclate que plus tard.
À toi : on attend tes fous rires !