Véronique est prise en sandwich.
Elle jongle, les balles sont de plus en plus nombreuses et elle n’a pas le choix que d’essayer.
Elle jongle entre son rôle de maman et son rôle de fille de personnes vieillissantes.
Elle jongle peut-être même entre le rôle d’aidante de ses enfants et d’aidante de ses parents. Les balles viennent de tous les côtés. Elle est prise en sandwich : gérant d’un côté les soins quotidiens de sa progéniture mais aussi les besoins de ses parents (ou encore beaux-parents).
Les personnes comme Véronique, on les appelle la génération sandwich. Et il y en a de plus en plus. Parce qu’on devient parents de plus en plus tard et que nos propres parents deviennent donc plus tard grands-parents, à un moment où ils ne peuvent peut-être plus nous soutenir comme on pourrait l’espérer. Non, peut-être que ce sont justement eux qui ont besoin de notre aide. Eux aussi. Alors Véronique, comme bien d’autres mamans aidantes, tente de jongler avec toutes les balles, celles qui débarquent en plus sans crier gare, celles qui nous confrontent à la fragilité de nos parents, à leur santé, leur avenir et un jour, leur mort.
Que dire alors de ces mamans qui sont aidantes de leurs enfants et qui deviennent peu à peu l’aidante de leurs parents ? Que dire de la charge financière, physique et émotionnelle qui pèse sur leurs épaules ?
Les difficultés pour cette génération sandwich, elles se trouvent bien là : il faut arriver à gérer financièrement, toutes mentalement, corporellement. Comment équilibrer sa vie professionnelle et personnelle quand on est prise en sandwich avec tant de questions pratiques, émotionnelles, tant de frais, de rendez-vous médicaux… Car, si la charge mentale liée à la parentalité est déjà énorme en elle-même, celle d’une maman aidante est démultipliée. D’autant plus encore quand, insidieusement, de nouvelles questions s’ajoutent au gré du temps :
- Peut-elle encore vivre seule ?
- Simples oublis ou troubles cognitifs ?
- Où trouver des protections urinaires adaptées ?
- Quel médecin contacter ?
- Est-ce que la douche est adaptée ?
- Comment expliquer aux enfants que mamie ne les reconnait plus ?
Toutes ces questions, tous ces aspects s’accumulent, se posant lourdement sur les épaules des proches aidants.
Comment faire ? Que faire ? Que prioriser ? Comment survivre ? Et plus encore, comment vivre sa vie sans perdre tout espoir, sans renoncer à tous ses rêves ? Comment ne pas s’oublier soi-même complètement ?
Pour celles d’entre nous qui vivent cette situation, je n’ai pas besoin d’expliquer ce que cela veut dire au quotidien.
- Quand, à la liste des rendez-vous médicaux à prendre et à accompagner s’ajoutent ceux des parents,
- quand, aux produits hygiéniques à acheter pour ses propres enfants, s’ajoutent les produits pour personnes vieillissantes,
- quand, aux soucis qui nous guettent sur le futur de notre enfant s’ajoutent les questions d’avenir de ceux qui nous ont mis au monde,
- quand ton employeur râle déjà de tes absences pour prendre soin de ton fils/ta fille, tu ne sais même pas comment lui dire que cela va s’empirer dans les mois qui viennent. Parce que tu sais toi, que c’est ton numéro de téléphone qui est le contact d’urgence en cas de problème pour ton papa/ta maman,
- quand tes vacances deviennent peau de chagrin parce qu’il n’y a personne pour prendre le relais, ou parce que tu n’as plus la force de chercher quelqu’un pour prendre le relais, pour te donner du répit,
- quand, dans ta famille (proche ou éloignée), personne ne semble voir ni comprendre le poids émotionnel, physique et financier sous lequel tu croules,
- quand, toi aussi, tu aimerais juste rester une journée entière au lit pour te reposer mais que tu te lèves courageusement parce qu’il faut tenir le coup, aider, aimer, encourager, préparer, soigner parce que tu n’as pas le choix !
Que dire de plus, les mots me manquent. Parce que si toi, chère fabuleuse aidante, tu es prise en sandwich : tu le sais tout cela, tu le connais, tu le vis.
Alors laisse-moi te demander : réalises-tu l’énorme travail que tu effectues chaque jour ? L’incroyable force que tu déploies pour gérer le mieux possible ? La flexibilité, l’ingéniosité, la persévérance dont tu fais preuve pour répondre aux besoins, aux urgences, pour anticiper les prochaines étapes, pour accompagner avec le plus de patience, de douceur et de bienveillance tes aidés ? Sais-tu que tu déplaces des montagnes si souvent ?
Tu réponds « oui oui, c’est énorme, je sais », mais je sais que tu penses « oui mais, je pourrais faire plus ». Tu hoches de la tête, pensant peut-être, « je n’ai pas le choix » ; ou encore tu me réponds « je ne suis pas la seule à devoir tout gérer et certaines le font bien mieux ». Mais j’aimerais insister :
« Chère fabuleuse aidante, la charge que tu portes au quotidien, depuis peut-être des années déjà, est immense. Les listes de choses à faire et à ne pas oublier n’ont pas de fin, elles se renouvellent chaque jour. Les défis ne prennent pas de vacances et les moments de répit sont rares. Les gens autour de toi, même les plus proches, même les personnes aidées, ne réalisent pas la vie que tu mènes, les balles avec lesquelles tu jongles, les questions qui te gardent éveillées la nuit. »
Pourquoi insister, me diras-tu ? Pourquoi en rajouter une couche en te disant ce que je sais déjà trop bien ?
Parce que c’est là que commence le changement. C’est quand on regarde la réalité en face, c’est étudier la carte de route avant de commencer l’ascension d’une montagne. Où sont les endroits difficiles, où est-ce qu’on peut faire une pause, comment gérer le changement d’air, les variations de températures, y a-t-il une tempête en vue ?
Il faut oser regarder : réaliser que faire partie de la génération sandwich, et encore plus si tu es déjà aidante pour un ou plusieurs de tes enfants, c’est être prise dans un étau très serré que les autres ne voient pas vraiment.
Tu fais partie des chevilles ouvrières de notre société. Celles dont on ne réalise la valeur et l’efficacité que quand elles se cassent. Celles dont on devrait vraiment prendre soin, qu’on devrait chérir, à qui on devrait faciliter la vie avec des structures adéquates, des finances, des congés payés, du matériel de soin à portée de la main et du portefeuille, des conseillers médicaux à disposition (à la pointe des connaissances en soin de santé mais aussi joignables et bienveillants)… Je rêve évidemment, je rêve d’une société qui sait qu’elle ne tient debout que parce que des proches deviennent aidants, parce qu’ils jonglent avec leur vie professionnelle et personnelle, parce qu’ils donnent de leur santé, de leur argent, de leur temps pour être présents auprès de ceux qui en ont besoin. Je rêve d’une société qui comprend que ses piliers sont bien souvent à genoux pour s’occuper de leurs parents, de leurs enfant … Les vrais héros de nos jours ne sont pas les ingénieurs, ni les grosses richesses, ce sont ceux qui soignent !
Je rêve, et je sais que mes rêves ne t’aident pas. Mais ouvrir nos bouches et parler de nos situations, c’est ce qui fera peut-être changer peu à peu la réalité vers plus de compréhension et qui sait, peut-être plus de moyens aussi.
Alors parle : parle à ton employeur, à tes voisins, aux politiciens, aux médecins, aux instituteurs de tes enfants, aux associations existantes, à tes frères, tes sœurs, tes cousins… Explique, raconte, parle du lourd et du beau, du triste et du joyeux, des détails et des enjeux, des petits gestes que personne ne voit, porte du bleu pour l’autisme, des chaussettes dépareillées pour la trisomie 21, raconte-nous tout ! Aide-nous à mieux comprendre ton quotidien, ta vie prise en sandwich, et à mieux te soutenir.
Et puis sache qu’ici, chez les Fabuleuses aidantes, on est tellement fières de toi ! Merci pour qui tu es et tout ce que tu fais.



