Myriam Henry, mère de trois enfants, revient sur son parcours d’aidante. Entre le spectre autistique de son fils, l’agression violente de sa fille, et sa carrière d’enseignante, elle partage ses défis, ses leçons et ses stratégies pour garder l’équilibre. Elle insiste sur l’importance de prendre soin de soi, de s’entourer et de ne pas minimiser les compétences développées au quotidien en tant qu’aidante.
Si je devais te présenter, que voudrais-tu que je dise de toi ?
Je voudrais qu’on dise que je suis une personne pétillante, active et humaine. Ce sont des valeurs essentielles pour moi. Active, parce que je ne tiens jamais en place, un trait que je tiens de ma mère, une femme de 75 ans qui déborde d’énergie. Humaine, parce que j’ai grandi dans une famille où l’entraide et l’attention aux autres sont primordiales. Et pétillante, parce que j’aime transmettre de la joie et donner envie aux autres d’être heureux.
Parle-nous de ton parcours de vie.
J’ai été maman assez jeune, à 26 ans, en 2001. À l’époque, je rêvais encore de voyages et de liberté, mais cette maternité inattendue a redéfini mes priorités. Mon premier fils a été un véritable bouleversement : pendant la grossesse, les médecins craignaient une anomalie, ce qui m’a confrontée très tôt à des inquiétudes profondes. Heureusement, tout s’est bien passé, mais ce moment m’a marqué. Je me suis dit : « Je ne suis plus seulement une femme, je suis avant tout une mère. » Deux ans après, ma fille est née, et dix ans plus tard, mon troisième enfant, une autre fille, est arrivée. Parallèlement, je me suis battue pour poursuivre ma carrière. Diplômée en journalisme, j’ai passé mon CAPES de professeur documentaliste en 2010, tout en jonglant avec mes responsabilités de maman solo, étant divorcée de leur père. J’ai écrit des articles pour subvenir à nos besoins tout en préparant le concours, et aujourd’hui, je suis dans l’Éducation nationale depuis 13 ans.
Comment as-tu découvert le rôle d’aidante ?
Je n’avais jamais entendu parler du terme « aidant » avant qu’une amie ne m’en explique le sens. À ce moment-là, tout s’est éclairé : sans le savoir, j’avais assumé ce rôle depuis longtemps. Avec mon fils, tout a commencé très tôt. À deux ans, il avait des comportements atypiques : il alignait ses petites voitures avec une précision quasi obsessionnelle, faisait des crises imprévisibles, et adoptait des réactions inhabituelles à la crèche. À l’école, on me disait qu’il n’était « pas normal ». Ces mots m’ont profondément bouleversée. Pourtant, aucun diagnostic clair n’a été posé avant ses 15 ans. Au lycée, ses difficultés à interagir socialement étaient de plus en plus marquées. Ce n’est qu’en classe de seconde qu’une professeure m’a suggéré de le faire tester. Les résultats ont révélé une double particularité : il était à la fois intellectuellement précoce et porteur d’un trouble du spectre autistique. Cette découverte a permis de mieux comprendre ses comportements, mais elle n’a pas rendu les choses plus simples. Mon fils refusait toute aide extérieure, par peur d’être stigmatisé.
Alors, j’ai tout pris en charge : ses démarches scolaires, ses lettres de motivation, ses stages, et son suivi avec une psychologue spécialisée. C’était un immense soulagement d’avoir enfin quelqu’un pour m’accompagner, mais le diagnostic officiel n’a jamais été établi, ce qui nous a privés d’un accès aux aides administratives et financières dont il aurait pu bénéficier. Pour obtenir cette reconnaissance, nous avons été orientés vers un autre psychiatre agréé pour constituer un dossier auprès de la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées). Malheureusement, le courant n’est pas passé entre ce psychiatre et mon fils, qui s’opposait catégoriquement à cette démarche. Il ne voulait pas que sa différence soit reconnue, par peur de l’étiquette qu’on pourrait lui coller. C’était un coup dur, à la fois pour lui et pour moi. Aujourd’hui, à 23 ans, il a trouvé un poste en CDI dans lequel il est autonome. Il est technicien et s’occupe de la surveillance et du traitement des eaux.
Tu as aussi traversé des épreuves avec ta fille. Peux-tu m’en parler ?
Il y a un an, ma fille de 21 ans a subi une agression qui a bouleversé sa vie. Un jeune homme a manipulé un pistolet airsoft et lui a crevé un œil. Elle a dû arrêter ses études de communication et revenir vivre chez moi. Elle a sombré dans une dépression sévère, et je l’ai portée littéralement, entre les soins physiques, les hospitalisations, le suivi psychologique et son dossier judiciaire en vue du procès. Aujourd’hui, elle commence à relever la tête, mais les démarches administratives, notamment pour la reconnaissance de son handicap auprès de la MDPH, sont longues et complexes. Je gère tout, car elle a développé une véritable phobie par rapport à tout ce qui la ramène à son agression.
Comment arrives-tu à tenir face à ces épreuves ?
Je tiens grâce à plusieurs choses. D’abord, le sommeil : je m’assure d’avoir mes huit heures par nuit. Ensuite, le sport est ma bouée de sauvetage. Chaque jour, je fais une heure d’activité physique – yoga, pilates, course… Ça m’aide à évacuer le stress et à garder le moral. Enfin, j’ai la chance d’être suivie par un psychiatre formidable qui m’offre un espace de parole. Ça m’a appris à exprimer mon ras-le-bol sans culpabilité, à dire que j’en ai marre, sans honte. Je me donne aussi le droit de dédramatiser, de relativiser.
Quelle leçon tires-tu de ton parcours ?
Une immense fierté. Il y a peu, on était réunis en famille, et mon fils a exprimé à quel point il se rendait compte de tout ce que j’avais fait pour lui, et qu’il avait eu une enfance heureuse. Ce moment m’a touchée au plus profond de moi. Malgré toutes les épreuves, mes enfants ont réussi à s’épanouir et sont devenus des personnes exceptionnelles, humaines, prêtes à tendre la main aux autres. Ça, c’est ma plus grande victoire.
Quels conseils donnerais-tu aux Fabuleuses Aidantes pour ne pas se perdre en route ?
D’abord, bien s’entourer. C’est essentiel d’avoir des personnes bienveillantes autour de soi, qui écoutent sans juger. Une amie proche a été un pilier pour moi dans les moments les plus difficiles. Ensuite, il faut croire en ses propres capacités et ne pas minimiser ce qu’on accomplit. Aussi, ne pas se laisser polluer par les jugements ou la pitié des autres. Être aidante, c’est un rôle exigeant, mais il faut le reconnaître à sa juste valeur. C’est un véritable travail, qui demande des compétences spécifiques et beaucoup de courage.
Justement, quelles compétences as-tu développées grâce à ton rôle d’aidante ?
J’ai appris à monter des dossiers complexes, à naviguer dans les méandres administratifs, à défendre mes proches face à des institutions. J’ai aussi développé une capacité à accompagner les autres dans leurs particularités, à m’adapter à leurs besoins. Ce sont des compétences que tout le monde ne possède pas et qui mériteraient d’être davantage reconnues.
En conclusion, qu’aimerais-tu dire à celles qui se reconnaissent dans ton parcours ?
Que tu as des ressources insoupçonnées. Ne minimise jamais ce que tu fais. Oui, c’est difficile, et oui, on y laisse parfois des plumes, mais on finit par trouver des solutions. Et surtout, n’aie pas honte de demander de l’aide. Ce n’est pas une faiblesse, mais une force.