Axelle Huber
Angélo a deux ans. Il est atteint de la maladie des os de verre.
Comme il a des fractures régulièrement, par le simple fait de marcher ou de respirer, il passe des jours et des jours à l’hôpital. Ses parents ne le laissent jamais seul là-bas et se relaient 24h sur 24, laissant alors leur autre fils à la maison.
Sa fabuleuse maman lionne est tout particulièrement fusionnelle avec lui. A chaque hospitalisation, elle emporte le « cocon d’Angelo » : son tour de lit, ses jouets et livres préférés, son mobile, sa boite à musique et une image d’un ange car Angelo ressemble à un petit ange. Elle lui a construit un univers tout doux pour tenter de reproduire l’environnement familial.
Il en a besoin de cette présence sécurisante, appuyée et renforcée. Ses parents aussi.
Angélo a sept ans. Son papa est parti.
Sa maman gère comme elle peut et continue à être très présente malgré la charge mentale est le quotidien, très lourds. Les séjours à l’hôpital restent importants bien qu’un peu moins qu’avant. Elle enseigne les règles de politesse à Angélo mais à la maison, elle ne lui demande pas d’aider, elle craint trop les fractures. Angélo rétorque « mais si maman je range moi aussi ma chambre, sinon ce n’est pas juste ! »
Angélo a dix ans. Il s’est levé pour attraper un livre et s’est encore cassé le bras.
« Ce n’est pas grave, t’inquiète maman ! Tu sais je suis habitué maintenant. Je vais avoir un plâtre et on dessinera dessus. Je vais me remuscler avec le kiné. Comme d’habitude. J’appelle la pédiatrie !», dit-il. Il se fait protecteur de sa maman.
Angélo a 15 ans. Ses os se renforcent chaque jour et les fractures se raréfient.
Il rêve de devenir physicien. En sortant du bus qui l’emmène au lycée, il fait un faux mouvement et se casse la cheville. Ça faisait quelque temps que ce n’était pas arrivé. Il repart pour l’hôpital et doit être opéré. Sa fabuleuse maman lionne accourt. Elle est là dans la salle de réveil. Elle veut passer la nuit auprès de lui. Mais Angélo se rebelle. Non Maman, je ne veux pas, tu me saoules à être tout le temps avec moi, à stresser, ça m’étouffe ! Et non je ne sais pas ce qu’on dit les médecins ! » Alors la Fabuleuse repart, un peu peinée. Arrivé dans sa chambre, Angélo pleure, tout seul. « Surtout ne pas être vu, cela ferait trop bébé » songe-t-il ! Le lendemain, il appelle sa mère et lui déclare « tu es la meilleure maman du monde »
Angélo a grandi. Sa relation à sa fabuleuse maman évolue, en oscillant.
D’abord fusionnelle où parents et enfant sont collés serrés. Puis un peu de distance se crée et l’enfant passe par la case où il se fait protecteur de son parent. Ensuite il devient adolescent et gagne en autonomie tout en devenant parfois négligent ou passif dans ses traitements. L’adolescent repousse loin ses parents et souhaite prendre un peu de distance. Pour les appeler aussitôt qu’il en a besoin.
Cette évolution dans la relation, ces oscillations et cette passivité chez l’adolescent, partielle ou totale semblent très normales et emblématiques de son âge. C’est aussi le signe d’un mécanisme de protection psychique face à la maladie : l’aidé garde son énergie et ses forces pour grandir, guérir si cela est possible, vivre le présent, se réajuster sans s’embarrasser d’informations douloureuses sur un futur proche qui viendra bien assez vite.
Dans cette période de mutation, l’adolescent cherche son identité sans la réduire à sa maladie et ses traitements, qui font malgré tout partie de sa vie, du moins pour le moment.
Il est alors parfois difficile pour les parents de s’adapter aux changements de leur enfant et de trouver sa juste place avec leur adolescent. Cela est d’autant plus vrai lorsque le parent a pris une habitude viscérale depuis longtemps de protéger ou de surprotéger son enfant porteur de maladie ou de handicap.
A nous parents de tenter de soutenir notre petit devenu plus grand, de lui montrer qu’on est là et qu’on l’aime, sans l’étouffer ni chercher à tout contrôler. L’aidé a une vie à vivre, nul ne peut, physiquement et même psychologiquement, la vivre à sa place. Et cette vie sera belle aussi, malgré ses difficultés.
Mais comme il est âpre et décapant, parfois, d’oser le lâcher prise, n’est-ce pas ? On imagine pleins de scenarios : « et s’il avait besoin de moi, et s’il n’y arrivait pas, et s’il y avait un accident, et si les professionnels n’étaient pas assez ou trop, et si… ? »
Chère fabuleuse, encore et toujours je te propose de respirer un bon coup et d’avancer par petits pas sur ton chemin pour témoigner cette confiance à ton Angélo. Après avoir discuté de ton besoin de sécurité et entendu son besoin de liberté, tu peux aussi te faire confiance dans cette éducation que tu donnes et regarder ton enfant grandir, réaliser ses expériences, se tromper et revenir en arrière parfois, puis faire un pas de géant pour vivre sa belle vie.
Et là tu peux, le regard fier, chanter avec lui « oui mes amis nous allons vivre »