« Merci docteur, mais non merci. » Quelle force devons-nous parfois trouver pour dire non à un thérapeute, à un médecin, à une équipe médicale, à ces experts qui semblent tout savoir ! Quel courage… et pourtant il est parfois nécessaire de simplement, posément, assurément, dire non.
Chère Fabuleuse aidante,
La vie avec Pia a été régulièrement jonchée de ces « non merci » mais je t’avoue que depuis qu’elle est pubère, ces « merci docteur mais non merci » sont devenus encore plus indispensables. Ce fut un peu la thématique de notre été. Eh oui, cette phrase est revenue régulièrement dans nos rencontres avec les équipes thérapeutiques et médicales. Oui, elle met bien son appareil dentaire toutes les nuits, non, on ne va pas lui faire porter un casque de traction extra-orale pour dormir. Oui, elle va être opérée pour la pose de diabolo dans ses oreilles et le retrait éventuel de polypes mais non, pas question qu’on touche à ses amygdales (qui sont grosses mais ne dérangent pas).
Non, on ne va pas encore rajouter un rendez-vous médical à son programme d’été. À chaque fois qu’on a exprimé des limites claires à ces professionnels — qui font d’ailleurs un très bon travail — j’ai eu un peu mal au ventre. Et puis j’ai toujours comme un doute qui veut m’envahir, mais à chaque fois qu’on a eu le courage de dire non, on était soulagés. Parce que nous savions qu’à ce moment précis, c’était la meilleure décision à prendre, pour Pia mais aussi pour nous en tant que proches aidants et en tant que famille.
Oser dire non, parce que nous vivons au quotidien avec la personne soignée, et que nous connaissons les hauts et les bas, les besoins de la personne. Oser dire non, parce que nous aussi nous sommes experts !
Notre expertise est bien plus globale,
notre regard plus large : notre quotidien d’aidante nous a tant appris. Oser dire non, parce que le meilleur traitement n’est pas toujours le plus adéquat. Parce que nous connaissons le poids des soins, de l’accompagnement et parce qu’un médecin peut oublier qu’il a face à lui un enfant porteur de handicap, qui porte déjà bien assez sur ses épaules et sur qui on veut “juste” rajouter une couche de choses à faire, à ne pas oublier, à exercer … alors que nous disons : « C’est assez ! C’est déjà de trop ! »
Oser dire non à un plan thérapeutique qui aura des conséquences que nous n’aurons pas la force de mettre en place au quotidien, de porter, d’effectuer, de suivre comme il le faudrait. Tenir bon devant cet expert en chemise blanche et lui dire « merci, mais non merci ». Et voir, supporter ou accepter le regard qu’il nous lance. Un regard souvent empli de déception, d’incompréhension, parfois même de dédain. Ce regard qui nous dit : « Vous prenez la mauvaise décision ». Mais comment faire comprendre à ce professionnel que les tenants et aboutissants sont plus larges que ce qu’il voit ? Que notre aidé, notre famille, que nous avons besoin d’autre chose que du traitement parfait ? Et que oui, cet enfant a besoin de bien dormir la nuit et ne pas se débattre avec un appareil dentaire encombrant, que notre aidé a aussi besoin de s’ennuyer parfois, de vivre un peu de légèreté, de ne pas toujours être le patient en traitement, le futur adulte que l’on prépare constamment à son indépendance, l’objet à optimiser le plus possible.
À un moment, ça suffit !
À un moment, nous pouvons oser dire non, respirer profondément, ignorer ce regard extérieur qui nous juge et faire taire cette voix intérieure qui nous nourrit de culpabilité. Simplement dire « non docteur, merci mais non merci » et ressentir que c’était la meilleure chose à faire, vraiment !
Oser dire non, même si on se sent comme le pire des aidants, le pire des parents. Oser dire non, même quand le doute nous ronge, quand on se demande si on rate une occasion en or d’améliorer la vie de notre aidé. Oser dire non, parce qu’ici et maintenant, ce petit truc en plus, c’est la goutte qui fera déborder le vase, qui fera chavirer la barque familiale. Oser remettre le cadre autour de la photo instantanée qu’a pris l’équipe médicale : il y a plus que le trouble, plus que quelque chose à “réparer”, à “améliorer”.
Prendre la parole pour faire le compte-rendu du contexte, des sensibilités de notre aidant, des capacités de nos systèmes familiaux. Mais c’est tellement dur parfois : on voudrait le meilleur, donner plus encore, repousser nos limites et tenter le tout pour le tout, tout le temps. Mais nous ne sommes que des êtres humains et non des héros. Parfois, nous n’avons ni le temps, ni les forces d’en faire plus et c’est ok comme ça. C’est normal, même !
D’ailleurs, la prise en charge la mieux adaptée aux troubles de notre aidé n’est pas forcément la meilleure. Peut-être que c’est celle que l’équipe thérapeutique voudrait nous imposer. Mais la prise en charge la mieux adaptée, c’est celle que l’on arrivera à mettre en place au quotidien, celle que l’on suivra, celle que l’on appliquera régulièrement. Tout le reste n’est que voie de garage et n’aboutira à rien sauf à une bonne dose de culpabilité pour les parents et de frustration pour l’équipe médicale. Et cela, chaque professionnel de santé le sait aussi au plus profond de lui. Et c’est pour cette raison qu’ils ont besoin de ces « non merci docteur ». Parce que l’enjeu d’un traitement est que la personne le suive et ne l’abandonne pas en cours de route parce que cela demanderait trop d’efforts au quotidien.
Alors, oui, chère Fabuleuse aidante,
Je t’invite à dire « merci docteur mais non merci » et à lui dire honnêtement : « On ne va pas y arriver, c’est trop, on jongle comme on peut, impossible de gérer cette balle en plus, en auriez-vous une plus petite, plus facile à rajouter à notre vie de famille ? »
Peut-être as-tu besoin d’une personne avec qui t’exercer à dire « non docteur », il n’y a rien de mieux qu’un jeu de rôle pour que cette phrase sorte plus facilement. Parles-en à ta famille, à tes amies, aux Fabuleuses aidantes. Répète les scénarios, crée-toi une équipe de soutien mental, une équipe de gens dans ta tête qui font la fête quand tu arrives à dire « non, ça n’ira pas comme ça » (l’équipe des fabuleuses aidantes en fera partie avec joie).
Ose dire non, laisse passer l’ambivalence et la culpabilité et puis réjouis-toi d’avoir pris une bonne décision pour vous tous ! Parce que nous te comprenons et nous savons très bien que c’est parfois nécessaire, utile, indispensable de dire « stop, ça suffit ».
Et si tu avais besoin d’un encouragement pour dire « merci docteur mais non merci », ce texte est là pour ça, c’est le signe que tu attendais ! C’est une autorisation à prendre du recul face à une solution proposée avec insistance, bercée dans une forme de toute puissance du monde médical et thérapeutique. C’est un encouragement à prendre en considération ton contexte de vie, ton expertise d’aidante, à répondre « attendez, là, vous oubliez tel et tel aspect ». Cet article, c’est aussi le rappel qu’il y a toute une tribu de Fabuleuses aidantes qui te tient la main et te confirme que « tu as le droit de dire non et de ne pas culpabiliser », qui t’applaudit en criant « bravo, tu as bien fait » et qui te murmure tout bas :
« Ne brûle pas la chandelle par les deux bouts, la vie d’aidante n’est pas un sprint, c’est un marathon, gère bien tes forces, ménage-toi, fais-en une randonnée, ta belle randonnée en montagne ; les obstacles sont nombreux mais les paysages peuvent être si beaux ! Courage, tu es véritablement fabuleuse, ne l’oublie pas ! »
