J’ai pleuré.
Pas les petites larmes qui menacent de tomber. Non ! Les vraies de vraies, celles qui ont inondé le pull de mon mari lorsqu’il m’a pris dans ses bras.
Mon fils Amélien, âgé de 6 ans, a vécu son premier cours de ski !
En bons Helvètes que nous sommes, nous avons toujours mis une priorité, pour chacun de nos enfants, à savoir skier ! Chez nous c’est culturel ; comme la fondue, le chocolat ou les montres, ça fait partie de notre ADN… Les larmes que j’ai versées ont été particulières, car mon fils Amélien est handicapé. Il est porteur de trisomie 21.
Mon aîné, qui a assisté à mon effondrement émotionnel, m’a fait remarquer que je n’avais pas “autant” pleuré pour son premier cours de ski…
Avec émotion, je lui ai répondu :
« Ton premier cours de ski, je m’y attendais, comme tes premiers mots, tes premiers pas ou ton premier jour d’école. »
Pour Amélien, je ne m’y attendais pas…
Tout comme sa trisomie, je ne m’y attendais pas.
Quand la nouvelle du handicap est tombée, je m’attendais à beaucoup de choses, comme :
- un agenda chargé
- des batailles administratives
- des nuits sans sommeil apaisant
- des pensées anxiogènes
- une projection du futur angoissante
- des regards pesants et des remarques inadéquates
- des frustrations
- etc.
Mais je ne m’attendais pas à tout ce qu’il allait être capable d’accomplir.
Je ne m’attendais pas à la manifestation de mes émotions si fortes à chacune de ses “premières fois”. Je ne m’attendais pas aux “possibles”. Certes, on est encore loin de descendre des pistes de ski mais nous avons ouvert la porte du « un jour, peut-être ! ».
Lorsque je suis devenue maman aidante, j’ai commencé à porter un fardeau différent que pour mes autres enfants. Je suis devenue ultra-attentive aux gestes quotidiens d’une vie ordinaire. J’ai commencé à décortiquer tous les apprentissages du développement de l’être humain lambda, pour aider mon fils handicapé à acquérir petit à petit un peu d’autonomie. Avec le souci, presque incessant, de trouver des moyens pour l’aider, le stimuler, l’encourager, le faire aller de l’avant, etc.
Avec mon enfant et son handicap, j’ai réalisé que rien n’est “inné”.
Ce qui paraît “simple” peut parfois être très compliqué, comme : enfiler des chaussettes. Dernièrement, pour la première fois, Amélien a réussi à les mettre tout seul. J’ai regardé ma montre, ça lui a pris environ 7 minutes. C’est long, 7 minutes, pour mettre des chaussettes. Mais il y est arrivé par lui-même, à force de guidance, d’aide et d’encouragements. Sa réussite s’est manifestée par un sourire dépassant ses oreilles et par ses deux petites mains se frottant l’une contre l’autre, signe d’une très grande joie. Pour nous qui sommes « ordinaires », c’est facile d’enfiler des chaussettes, mais pour lui, non, c’est un exploit ! C’est inattendu.
Dans notre société, il n’y a plus de place pour “l’inattendu”.
Nous vivons dans un monde où tout est prévu. Nous évoluons dans une société qui vise le risque zéro. L’inattendu n’est pas, ou plus, vu, apprécié à sa juste valeur. Notre vie moderne est devenue insensible à la surprise. Notre monde se focalise sur ce que nous n’avons pas et ce que nous devons accomplir pour l’avoir. Nos enfants aussi évoluent dans un système éducatif qui est également basé sur des compétences attendues où l’innovation n’est pas forcément bienvenue.
Et j’avoue, que par la force des choses, je focalise énormément sur ce qu’il “manque” à mon fils. Au point parfois d’en oublier qu’il est aussi “capable”. Qu’en lui réside tellement de compétences, même encore invisibles aujourd’hui, et pourtant elles pourraient me surprendre, comme le fait de le voir sur des skis. Plus j’avance à ses côtés, plus je réalise qu’il est doté d’une grande persévérance. Elle m’inspire et me surprend.
Elle me pousse à accueillir l’inattendu pour chacun de mes enfants, qu’ils soient porteurs de handicap ou pas.
Alors j’avance avec un feu qui brûle en mon cœur : que cet inattendu soit de plus en plus visible et partagé. Peut-être qu’un jour nous serons de plus en plus nombreux et nombreuses à le célébrer ?
Cet inattendu qui nous fait verser des larmes de fierté.
Cet inattendu qui nous rappelle que rien n’est figé et que tout est possible quand on y croit ! Cet inattendu qui remplit nos cœurs de gratitude et adoucit nos pensées chargées par les agendas, les rendez-vous, les courriers à rédiger, tout ce qui alourdit notre quotidien de proche aidant.
Cet inattendu qui nous fait grandir et nous rend capables.
Cet inattendu qui pousse nos limites et nous donne un goût de liberté.
Cet inattendu qui fait tellement de bien à celles et ceux qui en sont témoins.
Cet inattendu qui, pour toi et moi, devient un trésor inestimable, porteur d’une joie profonde.