Tu en a rêvé depuis des mois : te poser, te reposer, débrancher de la maladie, du handicap, des syndromes en tout genre, de la charge mentale, des écrans aussi, t’éloigner des hôpitaux. Et quand l’occasion se concrétise avec une aide apportée, tu ne parviens pas toujours à te reposer. Le petit vélo continue de tourner dans ta tête et tu t’agites en vain.
Il y a celles qui voudraient bien pouvoir stopper mais ne le peuvent pas ou pas assez. Il y a celles qui n’y arrivent pas et je m’adresse aujourd’hui à celles-là. Elles continuent de multiplier les activités, de consulter leurs mails quand bien même elles ont une alternative.
Pourquoi est-ce difficile de se reposer ?
Il faut dire que la société pousse à ne pas s’arrêter, à l’image de ce lapin qui court toujours plus, avec sa pile dans le dos. Certaines personnes ont des croyances du type « si je m’arrête je meurs » ou encore « qui veut progresser ne se repose jamais »? Ces adages ont bon dos. D’autres peuvent avoir cette idée un peu janséniste qu’il faut souffrir, que la recherche de bien être ou de plaisir est malsaine et/ou superflue. D’autres encore, même si elles s’en défendent un peu, se disent que le repos est pour les faibles, les mous ou les paresseux.
Pour beaucoup d’aidantes, l’été révèle un piège insidieux : celui de se croire irremplaçable.
Jeanne, qui accompagne son époux en fauteuil roulant depuis trois ans, le reconnaît : « Je me dis toujours que personne ne saura s’occuper de lui comme moi.
Résultat ? Je n’ai pas pris une seule journée de congé depuis deux ans. » Cette auto-illusion de toute-puissance, empêche de nombreux aidants de s’accorder le repos pourtant nécessaire. L’été amplifie aussi cette idée moderne que « perdre du temps » équivaut à réellement perdre du temps ou de l’argent. Comme une offense au rendement et à l’efficacité. Sophie, aidante de son père diabétique, raconte : « Même allongée sur mon canapé l’après-midi, je culpabilise. Je me dis que je pourrais ranger, faire les courses, préparer ses médicaments pour la semaine suivante. Je n’arrive plus à ne rien faire. » Cette course perpétuelle contre la montre empêche l’accès à ce que Péguy* nommait le « courage de ne rien faire », cette grâce du silence et du calme loin de l’agitation. Paradoxalement, l’été peut effrayer certaines aidantes. Les longues journées, le ralentissement général de la société les confrontent à eux-mêmes. « Quand je m’arrête, je réalise l’ampleur de ma fatigue », avoue Claire, qui s’occupe de son fils handicapé. « Alors je préfère continuer à courir, même pendant les vacances. » Cette fuite de « l’introspection » et de la « cabane intérieure » prive les fabuleuses aidantes de moments essentiels pour mieux se connaître et se recréer. L’été apporte son lot de tentations : soirées tardives, sorties impulsives, achats compulsifs. Mais le vrai repos n’est pas non plus un défoulement ou une simple recherche de bien-être. Marc, épuisé par l’accompagnement de sa mère en fin de vie, témoigne : « J’ai essayé de sortir tous les soirs pour ‘décompresser’. Je rentrais encore plus fatigué et irritable. »
Retrouver le chemin du vrai repos
Le repos est un besoin biologique. Durant le sommeil, notre corps se relâche et les souvenirs sont triés. Mais ce n’est pas seulement cela. Le repos véritable vient après le travail et en est le couronnement. Pour les aidantes, s’accorder un été reposant n’est pas un luxe coupable, mais la reconnaissance légitime d’un travail accompli avec amour et dévouement. Il s’agit de cesser de se mouvoir, pour mieux retrouver cette connexion à l’être qui nourrit et régénère. Cela implique aussi de choisir consciemment et réalistement ses activités : plage, balade, sieste, lecture, jeux familiaux et/ou mots croisés, dans un équilibre entre soi et les autres. Le temps du repos est le temps du silence, du calme, loin de l’agitation intérieure et extérieure. Le temps du lâcher prise. Le repos invite à rentrer en soi-même, à nous connecter à l’être et non pas à l’avoir. Chacun s’exercera à trouver son havre de paix. Beaucoup choisissent un lieu calme, de connexion à la nature (campagne, mer, montagne, forêt) tandis que d’autres préfèrent se régénérer dans la pulsation de la ville. Les pérégrinations estivales offrent des occasions de renouveler des liens parfois distendus, à soi comme aux autres, comme de découvrir aussi d’autres lieux et communautés.
L’art de bien vivre : le repos s’apprend.
Il suppose d’abord de renoncer à l’illusion de sa toute-puissance, de dire « au revoir » à ses fausses croyances. Il faut exercer sa liberté en s’arrêtant après avoir fait de son mieux, quand bien même le travail ne serait pas terminé. Cela consiste aussi à choisir ses activités en conscience éclairée : une sieste plutôt qu’un grand ménage, une promenade plutôt qu’un énième dossier administratif, regarder le ciel ou les arbres plutôt que de remplir chaque minute. Pauline a appris à exercer sa liberté en s’arrêtant après avoir fait de son mieux : « J’ai compris que même si les tâches ne sont jamais finies, je peux décider de m’arrêter. Maintenant, tous les soirs à 20h, je vais marcher dehors. C’est mon moment. Anne, de son côté, a trouvé son équilibre : « J’ai arrêté de dire oui à tout. Cet été, j’ai choisi : une semaine de relais pour mon père, et moi je suis restée chez moi à ne rien faire. Pour la première fois depuis des années, j’ai contemplé, médité, je me suis émerveillée de petites choses. »
Il faudra aussi accepter de déléguer et de lâcher prise, d’accepter que tout ne sera pas forcément aussi bien fait que par soi-même. De notre côté, cet été, en famille, nous mettrons en pratique des binômes de courses et de cuisine pour que chacun prenne sa part. Mon fils, en fauteuil, fera aussi ce qu’il pourra pour contribuer : éplucher, couper les légumes…Et nous simplifierons les déjeuners avec une version maison de « bar à salade »
Il faut bien reconnaître que celui qui ne se repose jamais – alors qu’il en a l’occasion – est bien fatigant pour l’entourage. Le temps des vacances peut devenir un temps de grâce pour la vie familiale et sociale, même si cela implique de se séparer quelques jours de son aidé ou de faire venir une tierce personne pour s’en occuper. Il permet de recharger ses batteries afin de mieux se donner aux autres, par amour. Si malgré tous ses efforts, l’aidante épuisée n’arrive pas à récupérer et que cet état s’installe, une visite chez le médecin sera sûrement nécessaire.
Le repos s’avère essentiel pour approfondir la relation à soi-même comme aux autres, dans cette disposition du cœur d’humilité et de simplicité. Cette disposition intérieure de tout son être y compris de son âme peut aussi permettre de contempler, louer et s’émerveiller, approfondir une dimension spirituelle. Chère fabuleuse, même si c’est difficile pour toi, je t’invite à prendre le temps de prendre le temps. Et pourquoi pas en le chantant : https://www.youtube.com/watch?v=4_h-btiFqyg
*Charles Péguy, Le Porche du Mystère de La deuxième Vertu, 1912