Du traumatisme de l’annonce à la jungle des démarches administratives, la vie des parents et des enfants concernés par la maladie ou le handicap relève du parcours du combattant. Sophie Boursange, psychologue au sein d’une consultation de neuropédiatrie et chercheuse à l’université de Paris, nous livre ses observations, ses réflexions et ses espoirs pour l’avenir.
Quel est l’effet de l’annonce d’une maladie grave ou d’un handicap sévère de l’enfant ?
Quand elle n’a pas été dépistée à la naissance, l’annonce d’une maladie grave de l’enfant vient assez souvent mettre des mots sur des symptômes que les parents avaient remarqués et qui avaient pu faire l’objet de banalisation par les médecins ou l’entourage.
Lorsqu’ils reçoivent le diagnostic – parfois au bout de plusieurs mois ou années d’errance, c’est à la fois un soulagement, une reconnaissance de ce qu’ils avaient perçu mais c’est aussi un couperet qui tombe et qui les fait basculer dans un monde inconnu.
L’annonce est toujours décrite comme un traumatisme par les parents.
Ils décrivent un état de sidération, le sentiment d’un avant et d’un après qui ne sera plus jamais le même et l’impression que le temps ne passe pas. Cette annonce s’accompagne d’une quantité d’informations importantes en lien avec la maladie que les parents n’ont pas la capacité d’intégrer à ce moment-là et qui majore l’effet traumatique, surtout si le médecin n’est pas à l’écoute de la disponibilité psychique des parents.
Il est toujours difficile de prédire comment les parents vont réagir à cette annonce.
Certains vont rebondir très vite en s’investissant dans la prise en charge de la maladie de leur enfant, d’autres auront plus de difficultés à intégrer des changements dans leur vie et pourront se sentir perdus ou débordés par toutes les démarches à mettre en place. En effet, pour certains parents, tout devient lourd et compliqué car ces affections nécessitent une énorme prise en charge quotidienne : ergothérapie, psychomotricité, kiné, etc.
De quel soutien les parents peuvent-ils bénéficier ?
L’idéal est de pouvoir bénéficier d’un CAMSP (centre d’action médico-sociale précoce) ou d’un SESSAD (services d’éducation spéciale et de soins à domicile) : ce sont des services qui regroupent les soins pour l’enfant et ainsi déchargent le mieux les parents mais ils sont plus ou moins accessibles selon le lieu d’habitation et les délais d’attente peuvent être longs.
Ils constituent également un lieu de vie pour les parents qui peuvent demander des conseils lorsqu’ils doutent ou bénéficier d’un soutien des équipes lorsqu’ils rencontrent des difficultés. Sinon, il faut se tourner vers des professionnels en libéral et là, cela relève du chemin de croix : trouver des personnes formées à la maladie de son enfant, qui acceptent de venir à domicile, avancer les frais…
Par ailleurs, je constate tous les jours qu’il n’est pas facile pour les parents de demander de l’aide pour eux-mêmes.
Beaucoup ne s’autorisent pas à solliciter de rendez-vous avec un psychologue et certains se demandent comment nous pouvons les aider. Les entretiens que je mène pour ma recherche s’avèrent beaucoup plus longs que prévu car je suis généralement la première psychologue que les parents rencontrent, parfois plusieurs années après le diagnostic. Si nos entretiens les effraient un peu au début, ils éprouvent souvent un grand soulagement de pouvoir raconter leur histoire à une personne qui les écoute attentivement sans les juger. Une maman m’a même dit que notre échange avait été un « vrai cadeau » pour elle et qu’il lui avait permis d’envisager les choses sous un autre angle et de trouver des solutions.
Quel est ton regard sur ces parents que tu rencontres ?
Je suis à la fois très émue par les parents que je rencontre et admirative de leur courage pour faire face à cette épreuve et venir se dévoiler.
Je comprends leur souffrance, leur colère et leurs peurs.
Sur le moment, ils peuvent être très découragés, incapables de se projeter dans l’avenir. Mais j’ai toujours beaucoup d’espoir pour eux : même s’ils passent par des moments difficiles, même si je souhaiterais que leur enfant soit guéri, je sais qu’ils vont y arriver, qu’au bout du chemin ils vont découvrir quelque chose d’inattendu dans leur vie.
Un de mes axes de travail avec les parents est de les aider à rencontrer leur enfant et de retrouver des désirs pour lui. La maladie peut venir abraser les projets de vie qu’ils avaient imaginés, or un enfant a besoin que ses parents rêvent son avenir.
Un autre axe de travail est de les aider à distinguer les comportements de leur enfant en lien avec la maladie et ceux liés au développement « normal » d’un enfant. Certains parents ont tendance à relier toutes les difficultés de leur enfant à la maladie, alors qu’elles peuvent être simplement dues à une étape classique de croissance. Par exemple, 7 ans, c’est un âge où se joue fortement le travail de séparation donc il est normal de rejeter un peu sa maman à ce moment-là, surtout si la dépendance physique vient empêcher cette séparation. Je joue donc parfois un rôle de guidance parentale pour éclairer la complexité des enjeux éducatifs, quel que soit le handicap.
Comment mieux accompagner les familles dans ce contexte ?
Sur le plan sociétal, il faudrait vraiment penser davantage à l’inclusion de ces enfants.
Plutôt qu’un ministère du handicap, il faudrait porter le handicap dans tous les ministères ! Les parents que je rencontre ont le sentiment de mener un combat quotidien pour permettre à leur enfant de vivre une vie d’enfant. Ils se sentent souvent seuls et incompris dans les difficultés qu’ils rencontrent.
Il n’est pas normal que tout repose sur les parents.
Toute l’énergie qu’ils dépensent en démarches diverses, notamment administratives pour obtenir des aides ou permettre à leur enfant d’aller à l’école, les prive de ressources pour prendre soin d’eux-mêmes et accompagner leur enfant dans de bonnes conditions. Je rencontre des parents épuisés et désabusés face à un système qui leur demande de tout anticiper et de tout justifier.
Nombreux sont ceux qui abandonnent les démarches et qui préfèrent se sacrifier.
Par ailleurs, le nombre de structures collectives adaptées au handicap telles que les crèches ou encore les « structures de répit » qui pourraient permettre aux parents de confier leur enfant quelques jours à un personnel qualifié est dérisoire en France. Le maillage institutionnel devrait se resserrer autour d’eux car l’entourage familial et amical n’est pas toujours le plus adapté pour aider les parents. Il faudrait aussi que les professionnels soient formés au handicap dans les écoles, pour développer le vivre ensemble, l’empathie et l’entraide entre les élèves.
La différence est une richesse et une société plus inclusive serait bénéfique à tous !