« Madame Dernelle-Fischer, pourriez-vous penser à nous dire quand votre fille a ses règles ? Un petit mot dans le journal de classe suffit. De cette manière, nous pourrons l’accompagner au mieux. »
« Ma petite Pia ? Ses règles ? Maintenant ? Mais enfin ! »
J’ai l’impression d’avoir subi un électrochoc surprise. Bien entendu que je sais que la trisomie 21 n’influence que peu le processus pubertaire, je m’attends à ce que ça vienne, mais disons, plus tard, ne fut-ce qu’un peu plus tard que mes autres filles.
Pia a presque 12 ans quand son institutrice me fait cette remarque.
Je réponds : « Mais, euh, mais elle n’a pas encore ses règles. » Où est le verre d’eau fraîche quand on en a besoin ? Une gorgée pour se desserrer la gorge, l’autre pour se rafraîchir le visage.
Il y a environ un an que cette discussion a eu lieu et je suis tellement reconnaissante que cette institutrice ait lancé le pavé dans la mare ! Parce que, même si je savais que Pia aurait un jour ses règles, je ne m’y préparais pas encore. J’avais un peu repoussé le sujet aux oubliettes.
Alors quand cette jeune institutrice bienveillante pose le sujet sur la table, je reconnais qu’on me donne le top départ. Je vais me préparer à ce changement, avec Pia. Parce qu’un jour, proche, ma petite chérie aura ses règles, parce que son corps grandit, change, se transforme, la puberté avance à grands pas et le rythme de tambours hormonaux (et surtout de ses sautes d’humeurs) s’intensifie. Et je sais une chose : même si je ne suis pas encore prête à voir ma miss passer cette étape, je veux qu’elle le vive bien. Je ne veux pas que ses premières menstruations soient vécues comme un coup de semonce dans un ciel d’été, un orage qui fait craquer le ciel et inonde tout le monde par surprise.
Parce qu’avoir ses règles, c’est normal !
J’aimerais que Pia le sache : ce n’est ni sale, ni problématique, c’est notre corps qui vit. Ce sont nos “bébés” qui grandissent, qui deviennent adolescents et qui seront un jour adultes. Pia aussi ! Et même si Pia vit à sa propre cadence, apprenant ceci ou cela plus lentement, étant encore tellement enfant, son corps nous parle de son âge. La miss aura bientôt 13 ans !
L’institutrice continue ses explications : « Vous savez, nous avons de très bonnes expériences avec les culottes périodiques chez nos élèves, vous pouvez déjà commencer à en mettre à Pia, c’est vraiment pratique. Et puis, nous avons parlé de la puberté en classe. Les filles étaient avec moi, plusieurs heures ces dernières semaines. Nous avons parlé du corps, de la puberté, des poils pubères, des règles, de l’hygiène corporelle. Nous avons même appris à mettre une bande hygiénique, comment les ouvrir, les coller… ».
Je souris, je remercie cette dame. Alors que je me bats encore un peu intérieurement avec l’idée que Pia aura un jour ses règles — et cela tous les mois pendant des années et des années — je pourrais embrasser cette institutrice qui a expliqué tout cela à ses élèves, avec patience, clarté et de manière tangible.
Ce jour-là, je sortais de l’entretien avec une mission. « Rebecca, peu importe tes émotions à l’heure actuelle, Pia a besoin de toi à ses côtés pour vivre au mieux ses premières règles quand elles seront là. You can do it ! »
Que dire ? Durant les mois qui ont suivi, j’ai expliqué et réexpliqué les mêmes choses. On observait ensemble les changements corporels. Bien souvent, on parlait quand elle sortait de sa douche. Et puis, j’abordais de temps en temps le sujet avec mes amies aidantes. L’une d’elle m’a conseillé de tout simplement laisser Pia regarder « derrière la porte des WC » quand j’avais mes règles. J’ai osé, j’ai montré, j’ai répondu, j’ai ri, j’ai dédramatisé. Elle m’a dit : « Oh maman, du sang, malade ? Médecin ? »
« Non, c’est normal, j’ai mes règles. » J’ai fait la liste des autres personnes de la famille qui ont leurs règles, j’ai donné des explications simples et les plus claires possibles jusqu’à entendre mes grandes me dire au petit-déjeuner : « Maman, c’est trop d’informations de bon matin, je t’ai entendu jusque dans ma chambre. »
Est-ce que Pia a tout compris ?
Je ne sais pas. Mais Pia observe mon attitude et elle en déduit beaucoup. J’ai continué mes petits discours en les berçant de ma tranquillité, mon admiration et ma confiance pour Pia. Cela elle le vit, elle le voit, elle en comprend tout le sens ! Et est-ce que moi je la comprends ? Peut-elle m’exprimer tout ce qui bouge en elle, les sentiments qui passent, les émotions qui claquent les portes, les larmes qui coulent parfois sans raison, le besoin de tendresse, de sécurité, de liberté aussi, d’être traitée comme une grande ? En vrai, j’ai bien l’impression que non, il reste des points d’interrogation, des incompréhensions, des frustrations mais on avance ensemble, on essaie, on s’accroche, on navigue, on surfe sur les vagues, on garde notre humour, notre patience et un brin de légèreté. Rien de tout cela n’est bien grave au fond.
Et puis, ce jour est venu, il y a quelques semaines,
Ce moment où Pia a eu ses premières règles. Quand je l’ai remarqué, j’ai un tout petit peu perdu pied intérieurement. « Voilà, ça y est… mais comment je vais gérer ? Comment elle va gérer ? » J’ai ressenti ce petit pincement au cœur, comme pour les premières règles de ses grandes sœurs : « Elle est en chemin, une jeune femme en devenir. » Accroupie dans le couloir à l’étage, le dos posé contre le mur un peu froid, je reprends mon souffle quelques minutes pour mieux gérer mes émotions. Je suis la maman, Pia a besoin d’un adulte confiant à ses côtés. J’ai cherché et j’ai trouvé les mots pour me rassurer. Je me suis parlé : « Rebecca, pas de panique ! Tu es prête ! Pia est prête ! Tu n’es pas prise au dépourvu, elle non plus. Elle a besoin d’une maman confiante, elle a juste besoin de toi. N’oublie pas qu’en plus, tu es aussi la maman de 2 grandes jeunes filles : ce n’est pas ton premier rodéo. »
Et le calme est revenu en moi.
J’ai donc aidé Pia à prendre une douche, à mettre des sous-vêtements et des vêtements propres, une bonne protection hygiénique. J’avais le sourire, le sourire fier, sur les lèvres et dans les yeux (un peu humide de toute l’émotion). Je l’ai fait en la félicitant, lui rappelant que c’est normal, qu’elle grandit, que ses sœurs ont aussi leurs règles, que moi aussi « quelques jours et puis pause…. Et puis ça revient. »
Les jours ont passé, Pia a géré avec une élégance surprenante ses toutes premières règles, le regard vif, l’humeur changeante, mais surtout d’un calme dont j’aimerais connaître le secret. C’était comme si elle pouvait accepter naturellement cette étape.
Et évidemment, j’étais fière, bouleversée et épatée !
J’ai écrit à ses institutrices : « Voilà, Pia a ses règles pour la première fois, j’ai mis tout ce dont elle a besoin dans son cartable. » La réponse d’une de ses institutrices m’a beaucoup touchée : « Chère madame Dernelle-Fischer, n’est-il pas beau de voir une enfant devenir une jeune fille ? Nous avons félicité Pia et l’avons aidé à changer sa protection hygiénique. »
Alors, j’avais envie de partager cette étape avec toi, ma chère Fabuleuse aidante. Je sais à quelle point ton rôle d’aidante peut demander une flexibilité, un courage, une inventivité sans limite. Aie confiance, ose, garde courage ! Oui, nos aidés changent, corporellement, émotionnellement, psychiquement et on n’est pas au bout de nos défis ! Mais nous ne sommes pas seules et surtout : nos aidés auront toujours la capacité de nous épater, si nous savons ouvrir les yeux pour voir toutes les pépites de leurs vies, toutes les forces qu’ils déploient et toute la confiance qu’ils auront dans nos regards et dans nos gestes ! On est tellement fiers d’eux ! Et puis, chez les Fabuleuses aidantes, c’est clair :