Elodie d'Andréa et sa famille
Enfants extraordinaires

Élodie d’Andréa : « Arrêtons de parquer les personnes en situation de handicap et les aidants »

Claire Guigou 26 juin 2023
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Depuis 2019, Élodie et Louis ont ouvert un ensemble de gîtes baptisé « Les bobos à la ferme « . La spécificité de ce lieu unique ? Il est équipé pour accueillir tous les publics, y compris les familles concernées par le lourd handicap.

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis Élodie, maman de 4 enfants : Andrea, 8 ans, Nina qui est décédée, Ysé, deux ans et demi et Abel, neuf mois. Andrea est atteinte d’une maladie neuro-dégénérative qui a été découverte en 2019 quand j’étais enceinte de Nina. C’est une maladie qui touche 6 personnes dans le monde. Ma fille ne marche pas et ne parle pas.

Avec votre conjoint, vous avez créé un lieu de répit pour les aidants. Pourriez-vous nous en dire plus ? 

On vivait à Paris quand on a eu Andrea. C’était notre premier enfant. Après l’annonce de sa maladie, nous avons progressivement perdu nos emplois, quitté Paris et acheté une ferme en Côte d’Opale qui est la région d’origine de Louis. Depuis 2016, nous rénovons cette ferme. Nous avons emménagé dans la longère principale au bout de deux ans de rénovation. On a ouvert un premier gîte labellisé Tourisme & Handicaps en 2019. En septembre 2020, nous avons poursuivi par la construction d’une salle Snoezelen, c’est-à-dire un lieu qui fait appel aux cinq sens et qui a pour objectif d’apporter du confort aux personnes atteintes de handicap et d’entrer en communication. Nous proposons ici des séances adaptées aux besoins des personnes dépendantes, que ce soit de la communication sensorielle, des massages, de la relaxation…plein d’outils pour apporter un mieux être aux personnes dépendantes et aux aidants. Aujourd’hui, nous avons 4 gîtes familiaux haut de gamme, tous labellisés Tourisme & Handicaps et une capacité d’accueil de 19 personnes. Nous avions vraiment envie d’accueillir le grand public et les personnes en situation de handicap sur un même site. 

Il y a donc également des familles qui ne sont pas concernées par le handicap qui viennent se reposer chez vous ?

En effet, c’est l’objet du projet ! Il faut arrêter de ‘parquer’ les personnes en situation de handicap et les aidants dans un lieu et le reste du monde dans l’autre. Cela n’a pas de sens selon moi ! Dans notre ensemble de gîtes, qui est maintenant un tiers-lieu, de nombreuses amitiés se créent entre des familles avec handicap qui viennent se reposer, des familles locales, des bénévoles qui ne sont pas concernés par le handicap… Il y a beaucoup d’échanges !

Votre projet a été mis sur pied en quelques années. Pourquoi s’être lancé dans une telle aventure ?

En réalité, nous ne savions pas que ce que nous voulions créer n’existait pas… Au départ, nous voulions tout simplement partir en vacances avec notre fille Andrea. Et à notre grande surprise, nous n’avons rien trouvé. Il n’y avait pas de lieu qui pouvait la recevoir. C’est pourquoi nous avons créé le nôtre ! Ce projet était aussi un moyen d’avoir un emploi à domicile pour pouvoir profiter de notre fille le plus longtemps possible… Au début, nous avons pensé à faire des gîtes. Puis nous nous sommes dit que nous allions créer une offre de répit pour les aidants. 

Quelles sont les retours d’expérience que vous avez, à la fois des familles concernées par le handicap et les autres ? 

Nous n’avons que des retours positifs. Nous avons accueilli un peu plus de 600 bénéficiaires et effectué 900 nuitées depuis le début. Il faut dire que nous sommes les seuls en France à accueillir toute maladie et tout type de handicap. Nous proposons aussi de la location de matériel médical, la continuité des soins, ce qui n’est pas possible dans d’autres lieux. On accueille aussi des parents aidants toutes les semaines pour des échanges. Et la semaine prochaine, nous ouvrirons une salle handi-balnéo qui pourra accueillir 8 personnes avec un rail mural et un chariot de douche pour le change. 

Comment avez-vous réussi à tenir le cap pour faire aboutir un tel projet ? Avez-vous obtenu des aides financières ?

Nous travaillons à deux, en couple, et nous avons aujourd’hui 6 salariés. Nous bénéficions d’aides qui permettent de faire avancer le projet mais qui ne sont pas pérennes. Nous allons les chercher projet par projet. Nous travaillons sept jours sur sept, 24h sur 24h, donc cela demande beaucoup d’énergie… Si nous n’étions pas à deux, on ne fonctionnerait pas ! Avec mon conjoint, nous avons des compétences différentes. Louis est juriste de formation et moi j’ai toujours travaillé dans l’entrepreneuriat social. La répartition des tâches a été naturelle car nous n’avons pas les mêmes savoir-faire. À côté de cela, nous restons les parents de nos enfants, nous évoluons avec eux en parallèle du projet. Depuis 2017, nous avons aussi mis en place des rendez-vous de « parents extraordinaires » qui se déroulent deux fois par mois avec les parents de la région et des familles qui sont en séjour. L’idée est de créer des moments d’échanges entre parents d’enfants ayant un handicap. Comme nous ne voulions pas juste parler, nous associons ces discussions à une activité différente à chaque fois : de l’art-thérapie, de la musique… 

La création de ce lieu de répit a-t-il été un moyen de donner du sens à ce que vous viviez ? 

Oui… Mais nous nous sommes rendus compte de cela ensuite. Je ne crois pas que l’on crée un tel projet en se disant « je vais donner du sens à ce que je vis ». Je ne sais pas… Il y a les belles histoires que l’on veut raconter dans les médias… et il y a la réalité. Et la réalité, pour moi, cela a plutôt été « tu fonces, tu fais car c’est une question de survie ». Il n’y a pas eu d’étude de marché ou de tableau chiffré quand nous avons commencé. Notre approche a été beaucoup plus instinctive car nous n’avions pas le choix. Tout simplement. Encore une fois, c’était de la survie. 

Votre projet implique comme vous l’avez dit de travailler 24h sur 24h. Arrivez-vous à prendre du temps pour vous ressourcer au milieu de ce quotidien prenant ? 

Nous ne pouvons pas partir en vacances car nous ne pouvons pas laisser Andrea. Ce qui me ressource, mon objectif, c’est d’aller chercher mes autres enfants à 17 heures à l’école le soir. Je passe du temps avec eux de 17h à 21h puis je retravaille le soir. Nous avons également la chance d’habiter dans un territoire magnifique, à deux pas de la mer, dans un lieu très protégé. C’est beau ! La nature est très importante pour nous et a été dès le début au cœur du projet. Au milieu du béton, je crois que tout cela n’aurait pas marché… 

Pourquoi parler de lieu de “répit” et pas de “vacances” ? 

J’aimerais bien parler de vacances mais je trouve cela peu hypocrite car les aidants n’accèdent pas comme tout un chacun aux vacances. Pour se déplacer, il faut une logistique de dingue, il y a des surcoûts liés au handicap, c’est compliqué. Sans compter qu’il faut faire des démarches administratives incroyables car nous sommes dans un pays qui ne finance pas les séjours de répit. Si tout cela était allégé et que nous avions le droit à des vacances comme tout le monde, alors je parlerais de vacances. Mais ce n’est pas la réalité ! Pour moi, il faudrait que tous les aidants aient au moins un chèque répit de 1000 euros par an afin qu’il puissent l’utiliser comme ils veulent. Il faut arrêter d’infantiliser les gens en donnant des aides que l’on doit justifier. 

Pour terminer, quels conseils donneriez-vous à toutes nos Fabuleuses aidantes pour vivre au mieux le quotidien avec un enfant handicapé ou un proche malade ? 

Je pense qu’il est très important de savoir s’entourer. Nous, parents, portons une culpabilité constante qui vient parfois des conseils de personnes qui ne savent pas ce qu’est le handicap et qui feraient mieux de se taire… Il faut être d’abord entouré de personnes bienveillantes. Et puis, je pense qu’il faut s’écouter. Nous avons un pouvoir magique qui s’appelle la résilience grâce auquel nous sommes capables de choses folles une fois qu’on a dépassé le choc et l’horreur de l’annonce du handicap ! 

Pour se reposer, je conseillerais aussi aux aidants de se renseigner sur les aides dont ils peuvent bénéficier pour avoir droit au répit. Il existe des choses pour aider au financement d’un séjour dans un lieu comme le nôtre mais la plupart de ces aides ne sont pas connues.



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Cet article a été écrit par :
Claire Guigou

Journaliste, collaboratrice pour les Fabuleuses aidantes

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